L'adolescence: une quête identitaire parsemée d'embûches

L'adolescence: une quête identitaire parsemée d'embûches              

                Ce n'est qu'à la fin du 19ème siècle que le terme «  adolescent » est rentré dans le langage. Toutefois, il ne devient populaire qu'à partir des années 40.  Ce concept d'adolescence a longtemps été ambigu dans notre imaginaire, ne sachant pas réellement où la situer. Cependant, si on effectue une étude linguistique, on la localiserait après l'enfance. En effet, l'étymologie du terme "adolescent" remonte à la fin de l'antiquité, sa racine latine «  adolescere » devient au participe présent « adolescens », ce qui signifie « qui est en train de grandir ». Aussi, l'on pourrait situer son commencement à la puberté et sa fin à l'âge adulte. 

                De nombreux travaux, comme par exemple ce de J. Rassial tendent à démontrer que l'adolescence serait une période de crise et de turbulence liée  aux changements corporels, à une quête identitaire, ainsi que de son rapport à l'autre et son rapport à soi-même. Selon J. Rassial, il s’agirait d’une  phase qualifiée de « pas tout à fait ». Cette étape engendrerait un bon nombre de conséquences sur le comportement des adolescents, dont les fameuses « crises ». L'adolescent n'est pas tout à fait enfant, pas tout à fait adulte. Il doit se contenter de "dons" fait par l'adulte « sous forme de cadeaux».   L'ayant bien compris, ce dernier usera de son rapport à l'autre (autre qui se veut extérieur à lui-même), et réclamera son droit à l'argent de poche.

                  Selon une enquête faite en 2006, « les parents n'ont pas diminué le montant de l'argent de poche distribué (en moyenne 17,70 euros par mois). Ils sont moins nombreux à en donner et en surveillent davantage l'usage » (le figaro).  Aussi, bien que l'argent de poche reste tout de même ancrée dans les mœurs, l'adolescent peut se voir refuser l'une de ses requêtes. Ce qui qui provoque son animosité.  Ne voyons-nous pas des adolescents se mettent en colère lorsque leurs demandes est rejetée ? N’entendons-nous pas de leurs bouches des phrases exclamatives tels que «Rrrrr je te déteste ! » ou encore « ce n'est pas juste ! » Etc.  Et si les parents contestent le droit à une  sortie, ou encore à de l'argent de poche, certains adolescents iront même jusqu'à s'enfermer dans leur chambre en claquant la porte.

 Cette attitude s’explique par le fait qu'il voit son corps semblable à celui de l'adulte. Il ne tolère donc pas que ce dernier ait de l'autorité sur lui.

                 L’on explique ce comportement par le fait que le complexe d'œdipe, renvoie à la pensée « lorsque tu seras grand tu pourras » or une fois devenu grand, une fois le corps est devenu semblable à celui de l'adulte, l'adolescent ne voit pas l'accomplissement de la promesse oedipienne,  et supporte de moins en moins, la proximité avec le parent.  La modification du corps entraine donc la quête de son identité. Autrefois les parents étaient vus comme des modèles pour les enfants, à l’adolescence, ces mêmes parents deviennent honteux. L'interdit est mal accepté, voire même refusé par l'adolescent. D’ailleurs, certains adolescents vont même au-delà de l'interdit car cela « entrave sa liberté ».

                 Ce droit à la liberté passe par des mises à l’épreuve. Dans les sociétés occidentales, certains adolescents se croyant immortels iront jusqu'à tester les limites de leur corps. Ils se réfugieront dans l'alcool, la drogue, ainsi que dans les skins party dans lesquels il n’y a aucun interdit, ni limites. Certains, à la suite de cela, prendront le volant en état d’ivresse, donnant lieu à des accidents de voitures.  D'autres, s'amuseront à des jeux tels que le Rali (courses de voitures), ou encore des jeux du foulard (expérience consiste à restreindre l’afflux d’oxygène dans le cerveau). Les tournantes (pratique sexuelle durant laquelle une jeune fille effectuera successivement un grand nombre de fellation) font également partie de ces activités pratiquées. Ce qui a allure d'un jeu pour certains, peut vite « tourner au cauchemar » entrainant parfois la mort de l'un d'entre eux.

             Si nous connaissons les interdits universels, tels que, l'interdit de l'inceste, ou encore l'interdit du meurtre. L'adolescent, peut parfois avoir du mal à accepter ces interdits. Comme nous le dit J. Rassial « le drame de l'adolescence, n'est pas celui de l'ignorance, mais d'avoir du savoir en trop mal refoulé.  Après l'oedipe ; l'adolescence est la seconde véritable rencontre des limites à une toute-puissance infantile, artificiellement retenue pendant la période de latence. Elle se confronte à l'interdit symbolique, qui constitue l'axe de la langue où se promettait la jouissance, l'impuissance imaginaire, qui affecte le corps construit dans l'enfance comme positivation du négatif, et l'impossible réel, d'un axe sexuel qui fonde le rapport à l'autre. » Quoi qu'il en soit, cette rencontre avec les limites peut être mal acceptée. L'adolescent, cherchera alors, sa propre identité.  

               Cette quête identitaire se laissera souvent influencer par les médias. En effet, les jeunes prennent  souvent pour modèles les stars, affichant parfois des posters dans leur chambre. Les jeunes filles veulent ressembler à leurs chanteuses ou actrices préférées, et demandent aux parents d'avoir les mêmes vêtements, les mêmes coiffures que leurs idoles. Les garçons s'enferment dans leurs chambres, afin de parfaire leur éducation sexuelle à travers les  films pornographiques. Ils considèrent comme vrais ce qu’ils ont vu et tentent de reproduire  avec leurs petites amies ce qu’ils ont appris. L’inverse est de plus en plus observé chez les jeunes. On retrouve de plus en plus de filles devant des films érotiques et des garçons devant leur miroir à s’identifier à leur star. D'ailleurs, lors de l'émission « les jeunes consommateurs et victimes », diffusé sur Arte le 27 mai 2008, animé par Daniel Leconte, il nous l'explique très bien,  je cite « Si l’âge de la première relation sexuelle se situe autour de 17 ans, les jeunes semblent vivre des expériences étonnantes de plus en plus tôt et le phénomène semble même se banaliser. Dans certaines cours d’écoles et de collèges, la tendance est à la fellation et à la masturbation, les vestiaires et les toilettes sont parfois sous haute surveillance et la mode est au « fuck friend », symbole d’un sexe consommé pour être immédiatement jeté aux oubliettes, à l’image d’un produit éphémère sans autre intérêt, que le plaisir qu’il procure dans l’instant. »  Les images véhiculées par internet ont des tendances néfastes sur le sujet,  d'ailleurs, comme le dit le psychiatre et sexologue Philippe Brenot, « le porno est le plus mauvais modèle qui soit en terme de sexualité : corps morcelés, gros plans sur les organes génitaux, cadences accélérées, violences des gestes et des mots… Cela génère de la dévalorisation de l’autre et de soi ».

            D’autres adolescents prendront modèles sur des films qui véhiculent l'image de la violence et de la consommation de produits illicites. Ils penseront être « cool » et dans l’air du temps. On observera alors la création de « gang » calquée sur  les films Américains. Armes, règlements de comptes, homicides, vols, consommations de drogues, musculations, prostitutions se retrouvent à être des modèles identificatoires. Face aux médias, cet interdit du meurtre peut se voir bravé et non respecté par ces jeunes, en allant au-delà de l’interdit. Heureusement ces interdits peuvent parfois être sublimés. La musique, l’art peuvent être des médias sublimatoires. Aussi le Hard-rock, le Rap, les graffitis … semblent être utilisés par l’adolescent pour communiquer, exprimer des émotions, mettre en mots les interdits. Si les garçons, semblent préférer l'art graphique, les filles semblent  plus attachées à leur journal intime.

              Si certaines de ces activités se pratiquent seules, d’autres se font en groupe. Avoir son groupe d’amis semble important pour le jeune. J. Rassial nous parlera de la formation de « bande », plus précisément il nous dira « Toutefois, l'adolescent peut fonder dans les jeux légaux de son exclusion, en ce qui laisse d'impossible symbolisation, la raison d'une autre loi, celle de la « bande » ou de la « secte », où se mesure le rapport entre la limite et la période double aspect de l'adolescence ». Je me permettrais d’ajouter qu’être en bande, c’est avant tout montrer son appartenance, c’est créer son identité. En affirmant être de tel quartier, de telle origine, indirectement j’affirme que je « suis ».  Survient alors la question du commencement.

            J. Rassial nous dira « autant le fantasme d'une autre famille agite l'enfant, autant la lignée généalogique, parce que la ressemblance introduit la dimension infinie du temps, est en jeu pour l'adolescent. Si le père pour l'enfant occupe la place de l'Autre, la référence aux grands-parents désigne un impossible Autre de L'Autre ; que le père ait un interdit de le désigner à l'origine symbolique. C'est pourquoi la question de Dieu se pose pour l'adolescent, il est ce à quoi il a droit, à savoir le représentant ultime d'une transmission sans autre objet que symbolique, sans autre sens que le deuil d'un meurtre. Il reste toujours à tuer Dieu, c'est-à-dire à le reconnaître tel qu'il est offert alors irreprésentable, excédant la tradition qui le produit, à cette place laissée vide en A, quand le père ce révélé mortel. ». Certes, si la question de Dieu se pose, c'est surtout les questions « d'où je viens et qui suis-je? », qui se manifestent chez l'adolescent. C’est d’ailleurs les mêmes questions que se pose l’enfant. Toutefois, l’adolescent croit y répondre grâce à une citation biblique : « Tu es mon Fils; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » (Luc 3, 22, La bible), soit le fils de Dieu. Le père serait alors Dieu. C'est d'ailleurs, ce que Odile Falque mettra en avant, dans son article le dieu des adolescents.

                 En effet, elle nous dira que la question « qui suis- je ? » est posée par l'oedipe, je la cite: « dans la question « qui suis-je ? » posée par Œdipe à l’Oracle de Delphes, la psychanalyse entend dans la vie fantasmatique : « Tu tueras ton père; tu épouseras ta mère »; destin incontournable, mythe organisateur dans l’inconscient et dont les interdits dans leur réalisation (interdit du meurtre et de l’inceste), semblent devoir régler les rapports entre les humains dans les différentes cultures. À la question : « qui suis-je ? » posée par l’adolescent croyant, le deuxième récit biblique de la création répond en mettant en scène Adam et Ève désobéissant à la loi de Dieu, ce qui entraîne la « chute » (Gn 2,3, la Bible) ».  La désobéissance au père entrainerait la chute.

              Par ailleurs, comme le dit J. Rassial « la ressemblance avec les parents se découvre comme possibilité de l'acte sexuel qui, pour l'adolescent, est mesuré par un rapport impossible entre la répétition, et la reproduction. Répétition qui se manifeste lors de la scène primitive et la reproduction, qui se caractérise par le fait d'être pris dans la chaîne des générations, et où la différence sexuelle et de génération, n'est transcendée que par la transmission du nom ». Là encore, nous voyons que l'adolescent est pris dans ce rapport répétition et reproduction. Pour certains adolescents le fait de dire tu ressembles à ta mère ou ton père, peut parfois être mal accepté, par celui-ci étant donné qu'il serait vu comme une copie de l'image parentale, or, s’il est à la quête de sa propre identité, il cherchera à être lui-même, à être unique en son genre. 

                 Notons, l'importance de la transmission du nom. D'ailleurs, Lacan nous parlera du Nom-du-père. C'est parce que le père réel joue un rôle important à la formation de la structure oedipienne, c'est parce qu'il agit comme étant un tiers séparateur, séparant la mère de la  relation symbiotique qu'elle a avec le nourrisson, que l'enfant pourra rentrer dans le langage. Le phallus, servant comme élément d'introduction du langage. Ce Nom-du-père est en articulation avec le Non-du-père, posant l'interdit. Le père est donc celui qui nomme, celui qui reconnaît l'enfant comme étant son fils et celui qui interdit. Et il en est de même pour le Père créateur qui reconnaît l'homme comme étant son fils, et qui pose les interdits. D'ailleurs, lors de la prière quotidienne, nous dirons « Notre père qui est aux cieux ». Si la mère, du faite qu'elle porte l'enfant peut signifier que c'est le sien, le père ne peut pas, rien ne garantit qu'il est le père de l'enfant si ce n'est qu'il porte son nom, et c'est par cela que la transmission, du nom se fera de génération en génération. On note une grande importance de cette transmission du nom. Si de nos jours, en France, la mère peut reconnaître son enfant, le père quant à lui, s’il admet qu'il est le père de l'enfant, peut se voir offenser, si son nom n'a pas été transmis à son enfantC'est d'ailleurs, ce que j'ai pu observer chez une jeune femme française, avec qui j'ai pu avoir un entretien, elle ne comprenait pas pourquoi, son conjoint Haïtien, se sentait offensé, lorsqu'elle voulait donner son nom à l'enfant. Pour elle cela pouvait sembler normale de transmettre son nom, ou encore d'allier les deux noms, mais pour le père et la famille du père,  ayant eu une éducation traditionnelle, ils se sont sentis offensés, refusant d'accepter les conditions de la jeune fille. Cette dernière n'a pas eu son mot à dire, le père est parti à la mairie sans son accord afin de lui transmettre son nom. Cela a crée tout un conflit. La transmission du nom a toute son importance.

                Dans son ouvrage, le passage adolescent,  J. Rassial évoque les jeux de séduction, je cite : « ce dont témoignent les jeux de séduction, le revers étant que l'homme accrochant des signifiants au nom de l'Autre, dans l'épreuve du baratin restera aveugle aux appels du regard, tandis que la femme, s'affichant comme signifiant au regard qu'elle prête à l'autre, sera sourde à cette voix qui lui demande ce qu'il en est de sa jouissance ».

S’il est vrai que le regard prend de l'importance à l'adolescence, il en est de même pour le « être regardé ».  C'est ce que nous constatons dans l'anorexie mentale; Gilbert Hubé nous dira « à l’adolescence, au moment d’un vacillement de l’idée de soi, lorsque « ce quelque chose qui supporte le corps comme image » demande à être de nouveau reconnu par l’Autre et cherche une place dans son regard, il arrive que l’idéal du moi défaille ou soit démenti : alors, une anorexie vient témoigner du rapport entre identification et pulsion et faire symptôme de l’impasse du stade du miroir constituée par l’invidia, l’envie. L’anorexie serait la monstration d’un rapport non symbolisé à une jouissance présentifiée en l’autre. La dimension d’artifice du phallus, sa symbolisation aurait échoué devant le trop de réel de l’anatomie que l’Autre, son regard, n’a pu élever à la dimension symbolique. Le sujet en est le reste, il y tient en une unité sans narcissisme. » 

             D'autres adolescents pourront rechercher l'amour qu'ils n'ont pas eux, lorsqu'ils ont été enfants, en faisant eux-mêmes des enfants, on retrouve d'ailleurs un bon nombre de mères-adolescentes.

             Si l'identité se construit, et, est toujours évolutive au cours de la vie, c'est-à-dire qu'elle se transforme au cours de l'existence et plus particulièrement au cours de l'adolescence, nous pouvons également dire que l'identité « est donnée, on ne choisit ni son sexe, ni sa famille, ni son lieu de résidence. De même, on ne choisi pas non plus, ni de naître, ni de naître de notre espèce sur notre planète » (Daniel Calin, construction identitaire et sentiment d’appartenance). C'est donc les parents, qui à travers le langage verbal ou non verbal, transmettent à l'enfant une identité. L'enfant aura reçu de la part de ses parents toute une culture,  une histoire, des rites, des mythes familiales, mais recevra également tous ces éléments indicibles ancrés dans l'histoire familiale. Ce contrat narcissique dont parle P. Aulagnier, permettra la transmission, de ce qui a trait à la culture, et par conséquent, l'identité humaine, se construit à partir des autres, à partir de cette altérité.

CONCLUSION

              Si l'adolescent au cours de la quête de son identité, traverse de nombreuses crises liées à la fois au changement du corps, mais également de la supercherie de la promesse oedipienne, il n'en demeure pas moins que c'est une étape nécessaire, universelle pour chaque individu. Erickson nous dira que l'identité émane de « conflit spécifique à l'adolescence, au moment où se réalisent de nouveaux investissements affectifs et de nouveaux engagements dans des idées théoriques et dans des rôles sociaux ». La construction identitaire de l'adolescent, se fera en premier lieu dans sa famille et sera influencée par l'univers culturel et social, dans lequel il évolue. à partir de cela, la formation de sa personnalité, s'effectuera. Et je terminerais avec une citation de Michel Houellebecq qui dit:

« Je répondrai que l'adolescence n'est pas seulement une période importante de la vie, mais que c'est la seule période où l'on puisse parler de vie aux pleins sens  du terme.»

ODIN Bénédicte

BIBLIOGRAPHIE

             - Articles

Le figaro, article du 1 aout 2008.

Michel Fize « De l'interdit à l'inter-dit », Pensée plurielle 1/2006 (no 11), p. 69-73. ).

Odile Falque « Le dieu des adolescents. », Imaginaire & Inconscient 3/2003 (no 11), p. 129-144.

            •           Dictionnaires

Larousse, édition 2008

Laplanche,J; Pontalis,J-B.2009.Vocabulaire de la psychanalyse.Paris. Puf

Reverso, Dictionnaire en ligne.

            •           Émission

Les jeunes, consommateurs et victimes, diffusé sur Arte le 27 mai 2008, animé par Daniel Leconte       

            •           Ouvrages

F. H. Erikson, Adolescence et crise de l'identité , Paris, Flammarion, 1979.

FREUD Sigmund, 1993. Totem et tabou. Gallimard, Paris. Traduit de l’allemand « Totem und

tabu », 1ère édition 1913.

Rassial, J.J, 1996. Le passage adolescent. Ramoinville Saint-Agne, Eres.

La bible, version Louis Second 1910

          - Site web

D.Calin ; Construction identitaire et sentiment d’appartenance, 1999-2000 : http://dcalin.fr/textes/identite.html