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Un Traumatisme toujours présent dans l’inconscient collectif du Martiniquais. Hommage à Frantz FANON

Un Traumatisme toujours présent dans l’inconscient collectif du Martiniquais: Hommage à Frantz FANON

              La Martinique de par son histoire, a connu un véritable trauma collectif. Trauma collectif qui désigne, un affect visant toute une société. Nous retrouverons ces caractéristiques à travers le comportement de l'homme noir vis-à-vis du blanc et des siens.

              Le langage, le choix de son, ou, sa partenaire, le comportement du noir face à l'autre, tout cela s'anormalisera, du fait d'un complexe d'infériorité que l'homme blanc lui aura assigné, et ce, depuis la colonisation.  C'est ce que Frantz Fanon a tenté de démontrer dans son ouvrage peau noire et masques blancs. Au chapitre 1, il nous parle du noir et le langage ou le créole, est vu comme un patois. Ce qui désigne un idiome populaire, rural, spécifique à une région et souvent cible de moquerie.  Il   est donc dépréciatif, dévalorisant, péjoratif pour le créole qui se veut une langue soit celle de la Dominique, d'Haïti, des Seychelles formée à partir des mots d'origines diverses (espagnol, vieux français, portugais...), mais, non considéré comme langue par la bourgeoisie antillaise, qui la réprime, au profit du français, qui se veut être une langue noble qui permet le respect, l'admiration.  Pour mieux s'adapter, il faut devenir blanc et parler comme le blanc. Je ne peux pas blanchir ma peau, je vais donc me blanchir par l'intérieur, tout comme Mayotte Caprécia. Souvenons-nous, que n'ayant pas réussi à noircir le monde, à l'âge de 5 ans, une fois devenue grande, elle se blanchit de l'intérieur, elle se fait blanchisseur, tel que l'énonce F. Fanon.  D'ailleurs, notons que l'analyse de Frantz Fanon dans son chapitre la femme de couleur et le blanc, ne sera pas admis par tous.  Christiane P. Makward, au contraire, décrit la jeune femme comme étant quelqu'un d'exceptionnelle et contraire à ce que Frantz Fanon énonce. Elle nous dit « en 1950 en tout cas, lorsqu'on était piqué au vif et que l'on avait la tribune, on fustigeait l'adversaire sans retenue. Ce fut le cas pour Mayotte Capécia dont on se souvient seulement parce qu'elle eut l'insigne (dés) honneur de faire l'objet d'une psychanalyse sauvage, celle qui constitue l'essentiel du second chapitre peau noire et masques blancs de Frantz Fanon (...) l'essentiel procès de fanon contre Capécia tient à ce que cette dernière déclare « naïvement » sans analyse préliminaire et à fortiori sans psychanalyse, son désir d'épouser un français. Car je dois le souligner qu'un blanc américain, comme l'indique expressément la Négresse blanche n'eut point fait l'affaire. » Les recherches entreprises par  Christiane Makward vers le milieu des années 1990 et publiées sous le titre Mayotte Capécia ou l’aliénation selon Fanon, permettant de rétablir la vérité sur « Je suis Martiniquaise ».  Nous savons désormais que la jeune femme qui a rédigé de faux autographes à la demande de son éditeur. Christiane Makward nous dira qu'il s'agit d'un mythe qu'elle se doit de défaire.

              Pour en revenir au peuple Antillais, ce blanchissement commencera par le langage. Pour ma par, si du temps de nos parents, la langue française était primordiale et le créole rejeté, de nos jours nous voyons un changement dans le sens où le créole n'est plus entièrement exclus. En effet, dans les écoles antillaises, on propose, en plus, des langues comme l'anglais, l'espagnol, l'allemand, l'apprentissage du Créole, pour ce qui le souhaite. De plus, en agglomération, nous voyons de plus en plus de jeunes antillais revendiquer leurs origines à travers le port de Tee-shirt avec imprimés. On y observe, une carte de leurs îles, ou le nom de leurs départements. Sinon ils se mettent à parler le créole. Si, parler le créole était interdit, en présence d'adulte, comme étant considéré comme un manque de respect.  Entre jeunes, le créole est utilisé, pour parler entre eux, ou encore parler pour ne pas être compris par l'étranger. Serait-ce assumer la culture telle que la évoquer Frantz fanon lorsqu'il dit, « parler une langue c'est assumer un monde, une culture », c’est-à-dire être fier d'être un noir, ou encore au contraire, affirmer que je suis un noir certes, mais pas n'importe quel noir. Un noir antillais, un noir qui n'est pas noir Africains ?

              Le port de tee-shirt avec des imprimés « 971, 972, 973, 974, madinina, gwada, gwadinina  etc.» désigne une appartenance à une communauté, or, c'est lorsque l'identité est menacée, qu'elle se donne à voir. Frantz Fanon, lui-même, nous le montre, dans son chapitre « le nègre et la psychopathologie », ou pour l'antillais, le véritable nègre ce n'est pas lui, mais le Sénégalais, lui est presque blanc, quasi blanc. Nombre de fois, nous voyons l'Antillais se vexer lorsqu'on le confond avec un Africain,  et ce, même aujourd'hui.  Pour mieux comprendre les explications de Frantz fanon, revenons un peu au colonialisme. Notons que durant l'esclavage, l'homme noir a été considéré comme « un acheminement du singe à l'homme, personne ne songe à contester, ce sont des évidences objectives qui expriment la réalité». Il n'avait pas accès à la pensée, il ne pouvait se contenter que d'obéir, l'homme noir était vu comme étant fort, mais dépourvu d'intelligence. De nombreux philosophes, comme par exemple le philosophe Sépulvéda affirme que certains peuples sont nés pour être dominés. Dans un premier temps ce fut les indiens, puis par la suite, après un débat avec le prêtre dominicain Bartolomé de las casas et lui-même, c'est l'homme noir descendant d'Afrique qui se devait d’être dominé. « S'il est clair que les indiens sont nos frères en Jésus-Christ, doués d'une âme raisonnable comme nous, en revanche il est bien vrai que les habitants des contrées sont beaucoup plus proches de l'animal. Ces habitants sont noirs, très frustes, ils ignorent l'art et l'écriture, ils n'ont jamais construit que quelques huttes. Légat : Oui, Aristote dirait qu'ils sont privés de la partie délibérative de l'esprit, autrement dit de l'intelligence véritable. Toute leur activité est physique, c'est certain, et depuis l'époque de Rome ils ont été constamment soumis et domestiqués (au colon). Des africains ont déjà fait la traversée ? Colon : Oui éminence. Depuis les premiers temps de la conquête. Ils s'adaptent vite au climat. Ils sont résistants. » (La Controverse de Valladolid, J-C. Carrière).

            La traite négrière fut un véritable trauma pour les peuples qui ont subi l'esclavage, or « les descendants deviennent les portes mémoires, les portes douleurs d'une histoire qui n'est pas leur histoire personnelle mais qu'ils ont reçue en héritage à leur insu. De fait, la transmission s'organise sur un mode inconscient. Ce qui implique le fait que les enfants héritent des secrets des non-dits, des non élaborés, des traces pathogènes, des contenus psychiques de leurs parents voire de leurs grands-parents. Comme le souligne Janine Altounian. «  S’il y avait secret et clivage chez le parent, alors l'enfant, incorporera au sein du moi, une crypte contenant, ses secrets originaires.  Soit un traumatisme dans la vie du sujet ». Il y a donc une transmission du trauma qui se fait à travers les générations. De plus, notons, une fois l'abolition de l'esclavage prononcé soit le 27 avril 1848 pour la France, une fois l'homme noir censé être à l'égal de l'homme blanc. L'homme blanc se comporte fasse au noir comme s’il parlait à un enfant. « Un blanc s'adressant à un nègre se comporte exactement comme un adulte avec un gamin ». Ce qu'évoque Frantz Fanon dans cet ouvrage nous l'avons retrouvé également dans un fait actuel qui a fait scandale en 2009 où Mr Alain Huygues Despointes, l'un des derniers békés de la Martinique, annonce que le métissage noir blanc est intolérable dans la communauté béké. Ce métissage est vu comme une non-harmonie, Il n'y a pas de mélange entre les descendants de colons et descendants d'esclaves, il faut préserver la race.

             D'autre part en 1960 l'un des parents de Bernard Ayot devant les camera de ORTF répondit à un reportage : «  c'est facile à mener des ouvriers noirs ? Le noir c'est comme un enfant, il faut être juste, on en obtient ce qu'on veut. Vous êtes un béké, qu'est-ce-que un béké ? C'est ce qu'il y a de mieux, le béké, ce sont les descendants des blancs européens qui se sont reproduit en race pure dans les colonies». Là encore, nous voyons une distinction entre l'homme noir et l'homme blanc. L'homme blanc n'a jamais considéré le noir comme étant un homme, ou son égale, alors comment l'homme noir peut-il se considérer à l'égale de l'homme blanc, si pour l'autre : le blanc, il ne l'ai pas ? C'est de là qu'on peut rejoindre le témoignage de Frantz Fanon, dans le sens, ou l'homme noir pour exister en tant qu'homme doit devenir blanc, se rapprocher du blanc. Il y aura aliénation de l'homme noir.

                 « Tout peuple colonisé, c'est-à-dire tout peuple au sein duquel a pris naissance un complexe d'infériorité, du fait de la mise au tombeau de l'originalité culturelle locale, se situe vis-à-vis du langage de la nation civilisatrice, c'est-à-dire de la culture métropolitaine. Le colonisé se sera d'autant plus échappé de sa brousse qu'il aura fait siennes les valeurs culturelles de la métropole. Il sera d'autant plus blanc qu'il aura rejeté sa noirceur, sa brousse. Dans l'armée coloniale, et plus spécialement dans les régiments de tirailleurs sénégalais, les officiers indigènes sont avant tout les interprètes. Ils servent à transmettre à leurs congénères, les ordres du maître, et ils jouissent eux aussi d'une certaine honorabilité. ». L'expression "échapper de la brousse" est évidemment ironique. Elle s'inspire de l'image conventionnelle du nègre vivant en pleine nature dans une condition de vie proche de celle de l'animal.

             Dans ce 1er chapitre, nous voyons que l'homme Noir, tout comme l'homme blanc n'accepte pas la couleur noire, Il y a comme un rejet, de cette culture noire. Un rejet de cette langue maternelle : le créole. Fanon nous le dit : l'antillais devra choisir, soit de monter vers la civilisation blanche, soit de régresser vers la famille noire. Depuis notre jeune âge, Winnicott relèvera chez l'enfant, l'angoisse du 8ème mois, face à l'étranger. La mauvaise mère est rejetée sur l'étranger, j'irais plus loin en disant, que pour ma part, il est en de même pour adulte, on accueille difficilement  une culture qui est différente de la nôtre. Lorsque, nous sommes face à un étranger, il y a une peur de celui-ci, une peur de l'étranger. On projette le mauvais sur l'autre. Notons que l'étranger se trouve à l'extérieur de nous, mais également à l'intérieur de nous. Cet étranger qui est en nous c'est l'inconscient. L'étranger qui est à l'extérieur de nous c'est l'autre. Le moyen de se guérir de cet étranger, c'est de le ramener au même. Ramener l'autre au même. Dans la colonisation par exemple, le blanc sauvait le noir en lui apportant la culture Blanche, comme le christianisme par exemple. Selon moi, dans la civilisation noire antillaise, le noir veut se sauver également du noir qui est en lui, en rejetant la culture noire qu'il possède. L'homme noir Antillais incorporera la langue Française pour mieux se sentir accepté.

            Frantz Fanon, dans son chapitre « le nègre et la psychopathologie », nous montre que le noir c'est le mal, c'est Satan. Cela peut paraître risible à évoquer un chanteur de rap Martiniquais Neg Lyrical dans une critique, mais pour ma part, cela prend subitement de l'importance lorsqu'on voit l'intitulé de sa chanson : «  la langue est piégée ». On observe que la langue n'offre aucune issue de secours, qu'elle l'emprisonne, et c'est en écoutant la chanson que l'on voit qu'elle emprisonne l'homme noir.  Dans sa chanson, interprétée en l'hommage de Frantz fanon, il reprend les idées fars de l'auteur. Il évoque que la langue Française, elle-même dénigre la couleur noire, par exemple lorsque nous faisons référence, au chat noir, cela porte malheur ou encore lorsqu'on évoque la peur du noir, ou la magie noire, cela désigne le sorcier, la sorcellerie. Lorsqu'on parle idée noire, marché noir, cela fait référence au négatif, au mauvais à la crainte du mauvais. Alors qu'en revanche lorsque l’on évoque la magie blanche, sortir d'une affaire les mains blanches, être blanc comme neige. Cela évoque le bien, le positif, la pureté. J'irais encore plus loin dans mon interprétation, dans les sociétés occidentales, lorsqu’une personne meurt, on s'habille en noir, cela représente le chagrin, la tristesse, lorsqu'on est en deuil, on reste habillé en noir durant 1 an, on peut le retrouver dans les sociétés de confession catholique par exemple. En revanche, lors du mariage, la femme est habillée en blanc, signe de pureté, qu'elle n'a connu aucun homme. Le blanc représente la pureté.  Le noir la tristesse. On peut donc dire en incorporant la langue française, et en renonçant au créole on incorpore le bien, le blanc, et on rejette le noir. Maîtriser la langue française est vitale pour le Noir antillais. Historiquement parlant, « il faut comprendre que le noir veut parler le français car c'est la clef susceptible d'ouvrir les portes qu'il y a 50 ans encore lui été interdite ».

               Nous voyons donc, que Frantz fanon part d'une situation indéniable: le rapport dominant (la civilisation blanche) et le rapport dominé (la race noire déportée d'Afrique vers les colonies d'Amérique) ; cela entraîne forcément un complexe d'infériorité dont le symptôme est son aliénation linguistique. On observe donc un respect abusif pour le langage du colon et par conséquent : la "mise au tombeau" qui se veut expression forte, soit la mise en sommeil de la spécificité culturelle de tout un peuple et de ses traditions.  Les colons le savent bien, ils veulent exterminer à tout jamais les racines culturelles africaines de l'homme noir et lui créer par la force une autre personnalité avec un autre langage, en débaptisant les esclaves d’Afrique. Priver un homme de sa langue, c'est le priver de sa culture, de son identité ce qui peut provoquer des symptômes. On le voit bien, dans les théories sexuelles infantiles, l'enfant la première question qu'il se pose c'est d'où je viens ? Pouvoir répondre à ses questions est primordiale pour la bonne vie psychique du sujet.

            Fanon montre qu'adopter une langue, c'est penser dans cette langue et donc accepter ses valeurs. Il fait également référence aux officiers de l'armée sénégalaise sachant parler le français. La maîtrise de la langue permet une discrimination au sein d'un peuple. On y retrouve « les dominants blancs (maîtres), les semi-dominants (noirs cultivés) et les dominés (peuple noir soumis aux ordres). » On voit là, un véritable traumatisme du nègre. Jamais dans l’histoire de l’humanité une couleur de peau n’aura provoqué un tel mépris, une telle dévalorisation, à un point si extrême que ceux qui en sont porteurs à quelques degrés que ce soit n’ont que le choix binaire : ou l’intégrer comme une tache à effacer, ou la revendiquer comme un honneur. En réalité, c’est une seule et même chose : la noirceur est source d’une excitation difficilement tolérable. L’ostracisme à l’égard des Tamouls indo-martiniquais repose lui-même sur la couleur noire de leur peau. Leur pratique religieuse différente est un facteur négligeable. Des hindous blancs n’auraient jamais fait les frais d’une telle hostilité. Aimé Césaire, rajoute, avoir eu le sentiment d'être trahi par certains ancêtres africains, lorsqu'ils ont été vendus à des racistes.

            Nous voyons également, chez fanon que l'homme et la femme noire voulant être avec le blanc, veut sauver la race, blanchir la race, c'est parce que le noir est vu comme étant le mal, comme étant inférieur, qui faut tenter de le rendre supérieur en le mélangeant au sang blanc. C'est par le sang blanc que vient l'intelligence du noir, tel était la vision d'autres fois, c'est par le mélange avec le sang blanc que vient la beauté, et j'irais même jusqu'à dire que c'est toujours d'actualité. Bien sur plus caché, dit autrement, mais lorsque nous voyons un enfant métisse, d'un parent noir et de l'autre blanc. On s'extasie devant l'enfant, on s'empresse d'aller dire, « oh qu'il est beau ! Alors que pour un enfant très foncé, on n’aura pas le même engouement». La société antillaise, cherche le métissage; la France elle-même est métissée, que ce soit d'un parent blanc et noir, ou encore, d'un ami, ou d'une connaissance d'une autre culture, d'un autre pays.

            Pour revenir à la société Antillaise, le trauma se transmet, de génération en génération et tant que les faits ne seront pas reconnus, alors le traumatisme persistera. Tant qu'il n'y aura pas eu un combat pour obtenir justice, alors le trauma sera toujours présent. Or, la reconnaissance, n'a pas véritablement été faite. En 2001, la communauté béké n'a pas admis le crime contre l'humanité, lois admises cependant par la loi française. Pour l'antillais, l'abolition de l'esclavage a été faite comme un don, c'est l'homme blanc qui a dit tient, je te donne ta liberté, il n'a eu qu'à dire merci. Contrairement aux Etats-Unis, où le combat s'est imposé. Il n'y a pas eu de vraies reconnaissances des faits, or lorsque les traumatismes collectifs ne sont pas élaborés psychiquement et reconnus par la société, par l'histoire, ils vont avoir tendance à se répéter. À n'importe quel instant, le noir peut se sentir menacé, et le blanc le lui rappeler.  Nous savons qu'une névrose traumatique est liée essentiellement à un événement violent. Par généralisation, on observe le retour répétitif chez les sujets ayant été confrontés à des incidents terribles et horribles y compris à l'âge adulte de la scène insupportable. Le sujet peut, par exemple la revivre en rêve, ce qui oblige à compléter la définition, du rêve comme réalisation du désir. Pour ce qui s'agit du noir antillais, la névrose traumatique, s'est transmise aux enfants; et elle se caractérise par un désir de revendication, par une névrose obsessionnelle. Par une volonté de prouver qu'il n'est pas moindre. Et si on se réfère à Adler et à Fanon. Le Martiniquais ne se compare pas au blanc, mais à son semblable sous le patronage du blanc. Et en ce qui concerne l'enfant Antillais, l'événement traumatique, c'est la rencontre tardive, au sortir de la première enfance et de la famille, avec une série d'énoncés et d'images valorisant le Blanc et dénigrant le Noir, conduisant l'enfant à s'identifier à la position valorisée, à se placer du côté du héros (le Blanc) et à se dénigrer, lui-même et les siens.

            Ainsi pour conclure, nous pourrons dire, de par le passé, jusqu'à aujourd'hui, les traces de l'esclavage, sont restées encrées dans la culture antillaise. Il y a eu une transmission du trauma à travers les générations. Que ce soit au niveau de la langue, des relations sentimentales, ou  du comportement qu'il aura avec l'homme blanc, l'homme noir s'anormalisera devant lui.  L’auteur O. Mannoni, dans psychologie de la civilisation a tenté d'expliquer le comportement du colonisateur Blanc. D'ailleurs l'ouvrage peau noire et masque blanc était une réponse O. Mannonni. Fanon, lui reprochait de psychologiser la situation coloniale et de réduire les conflits entre l'homme blanc et l'homme noir à un jeu sophistiqué qui conduisait à maintenir le colonisé sous la dépendance du colon.

            À la suite de cette critique, Mannoni entretient avec son propre livre, une relation ambivalente. À vrai dire, dans ce débat, Bronislaw Malinowski, et Géza Róheim avaient déjà discuté les écrits de M. Mannoni, à propos de Totem et Tabou et de la portée universelle ou non du complexe d'oedipe dans l'ensemble des sociétés humaines. Si Mannoni, avant même de devenir Freudien, défendait des positions universalistes corrigées par la phénoménologie, Fanon en refusant le Freudisme adoptait le principe d'un culturalisme cimenté par l'engagement anticolonial. C'est pourquoi il congédiait la psychanalyse pour sa prétendue incapacité à prendre en compte l'identité noire. Pourtant pour construire sa théorie sur l'identité noire, il s'appuyait sur la notion du stade du miroir de Jacques Lacan. Elle lui permettait de critiquer la psychiatrie coloniale fondée sur une classification raciste et de distinguer l'approche culturaliste de la subjectivité de la psychologie des peuples et du différencialisme. Après ce bref aparté, selon moi, l'esclavage a laissé de grandes traces dans le comportement de l'homme antillais. Ce sentiment d'infériorité est présent, même s’il tente d'inverser la situation, en sentiment de supériorité. Le trauma est toujours là. Le fait de ne pas savoir, d'où je viens, de quelle partie de l'Afrique je suis issu, toutes ces questions qui demeurent présentes chez le peuple antillais, chez le peuple noir ayant, subit la colonisation de l'homme blanc pose problème. Dans Roots, racine, un jeune auteur retrace son histoire, où il a fait 7 ans de recherches, pour pouvoir répondre à la question, d'où je viens, d'autres acteurs Américains, essayent à partir de test ADN de savoir de quelle partie de l'Afrique, ils pourraient être issus. Tout cela pour dire que, dans la société antillaise, on peut aborder la question des transmissions Transgénérationnelle, transmission qui se fait de manière inconsciente, avec les notions de fantômes et crypte, concept que l'on doit à Maria Torok et Nicolas Abraham. 

            D'ailleurs, Serge Tisseron reprend ces concepts et l'étudie à partir de la compréhension du traumatisme dans la filiation. Ce que nous pouvons dire c'est que leurs travaux permettent de comprendre par quels mécanismes un événement non élaboré, un secret ou un non-dit, un événement « innommable » peut se transmettre à travers les générations, devenant à la génération suivante un événement « impensable » pouvant conduire au fil des générations, à des pathologies somatiques ou psychotiques, voire  à des symptômes apparemment dénués de tous sens chez différents membres dépositaires à leur insu de ce secret. Nous pouvons dire que ce qui est traumatisant pour le sujet, c'est le fait que les événements  n’aient pas été élaborés par ceux qui les ont vécus, ce qui conduit alors à la transmission à travers les générations d’éléments non transformés devenus secrets.

             De plus, ce qui n'est pas dit, sera présent psychiquement chez le porteur du secret, les descendants vont à leur tour porter, le traumatisme à travers le fantôme, c'est ce qu'énonce M. Torok. On retrouve la « question du clivage, le clivage du moi survient à partir d'une cassure de la continuité psychique et c'est ainsi que la crypte va se former. Et que le déni va porter sur l'ensemble du problème psychique en cause ainsi, le traumatisme, qui n'est ni assimilable, ni introjectable pour l'individu, va se définir par un mécanisme d'inclusion, qui immobilise, dans une partie clivée du moi les composantes ».

           Pour René Kaes, les objets psychiques non transformables se transmettent de génération en génération et attaquent l’appareil psychique des membres de la famille. Il désigne par le terme de « transmissions négatives » où transgénérationnels, tous les éléments non transformés qui passent directement à travers les générations, demeurant finalement un corps étranger dans l’appareil psychique d’un sujet, rejoignant les concepts d’incorporâts familiaux, sortent de « ratés de l’introjection » et d’héritage transgénérationnels de Jean-Claude Rouchy (1998).

         On pourrait faire le lien, entre ce que nous évoque Serge Tisseron, lorsqu'il nous parle de la transmission du trauma et ce qu'a vécu le peuple antillais, ce qu'a vécu Frantz Fanon, ce que vit le peuple antillais de nos jours. Lorsqu’un événement n’a pas été élaboré et que son introjection par le sujet n’est pas possible, le mécanisme psychique en jeu est l’inclusion psychique au sein du Moi, dont la crypte constitue une des modalités. Abraham et Torok (1978) désignent sous le terme « travail du fantôme » au sein de l’inconscient, les modifications du fonctionnement psychique observées chez un enfant au contact d’un parent porteur d’une crypte.

           On pourrait supposer que c'est ce qu'a vécu Frantz Fanon. Pour Jean-Claude Rouchy, la transmission transgénérationnelle de la crypte où du fantôme, qu’il considère plutôt comme une « transfusion », semble s’opérer d’un corps à l’autre dans l’indistinction, relevant à la fois d’éléments physiques, mentaux, psychiques et physiologiques (Tisseron, 1995, p. 160). L'Antillais, de par son histoire, a subi une transmission trangénérationelle du trauma; ce qui a provoqué une aliénation du sujet ou encore des névroses obsessionnelles et ce n'est que depuis peu, avec Aimé Césaire que l'antillais peut mettre des mots sur  cette histoire qui a tant marqué le peuple Noir ayant subi la colonisation. Et je terminerais avec une citation d'Aimé Césaire: 

« Il y a chez moi ce besoin de rugir parce que les Antillais, descendants d'esclaves, êtres déchirés, ont étés opprimés, dépouillés de notre langue et de notre terre ». Aimé Césaire, interview

 

Bénédicte ODIN

 

Bibliographie

Cesaire. A,1950 Discours sur le colonialisme, Paris, Réclame.

Christiane Makward,1999 Mayotte Capécia ou l’aliénation selon Fanon, Paris, Karthala. 

Fanon. F,1952 peau noire, masques blancs. Paris,Seuil,

Minkowski,1927,La schizophrénie,michigan,Payot

Jean-Claude Carriere, La Controverse de Valladolid (1993), chapitre 15, pages 247-

250.

PLON, M; ROUDINESCO, E. 2006. Dictionnaire de la psychanalyse . Paris: Fayard .